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Dr François Pernin : « La pauvreté est tout simplement un problème politique majeur »
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Dr François Pernin : « La pauvreté est tout simplement un problème politique majeur »


Calvi

Par

Le 11 Juin 2018


- Combien y a-t-il de pauvres en Corse ?
- Selon la définition arithmétique, le seuil de pauvreté est fixé à 60% du revenu médian, donc à environ 1000 €. Si on se fie à ce seuil, il y a 60 000 pauvres en Corse. Mais, on sait très bien qu’on ne peut pas vivre avec seulement 1000 € par mois si on n’a que ça pour payer un loyer de 600 ou 700 €, payer les traites, l’électricité… Une personne seule ne s’en sort pas. 1000 € par mois, c’est un chiffre faux, théorique ! Le vrai chiffre, qui a été établi par un observatoire national, est de 1500 € par mois pour permettre à une personne seule de vivre normalement, de manger normalement, se loger normalement, avoir accès à la culture… Pour un couple avec des enfants, il faut, bien sûr, beaucoup plus. Au regard des revenus fiscaux, 108 000 personnes en Corse vivent en dessous de 1350 € par mois. La vérité officielle est donc : 60 000 personnes sous le seuil de pauvreté. La vérité vraie est : un tiers de la population avec 1 enfant sur 4 ou 5 qui souffre de pauvreté.

- Il n’y a pas de SDF ou de clochard dans les rues, même en ville. Le phénomène est-il marginal ?
- Non ! Les SDF existent en Corse. Il y en a entre 100 à 120 à Ajaccio, 100 à 150 à Bastia, une dizaine par-ci et par là, à Porto-Vecchio, Ile Rousse, Calvi... Ils ne sont pas dans les rues, mais dans les squats. Un SDF sur un trottoir est quelqu’un en risque vital. Sans Domicile Fixe ne veut pas dire qu’il n’y a pas de domicile, mais que le domicile n’est pas fixe. On peut être dans une voiture, une caravane, une maison délabrée, chez un copain… C’est comme ça que ça se passe.

- Néanmoins, la pauvreté se cache, elle reste peu visible, surtout dans les villages…
- Oui ! Pour plusieurs raisons. La première raison est que les gens ne savent même pas qu’ils sont pauvres ! Ils ne connaissent pas les critères. Quand on est diabétique, on peut dire : « ma glycémie est de tant… Je suis diabétique ». Mais, on n’est capable de dire : « Je suis pauvre ».

- Même si le réfrigérateur est vide, qu’il n’y a rien à manger ?
- Les gens ne savent pas que c’est un signe de pauvreté ! Le jour où l’on dira ce qu’est la pauvreté : « c’est cela, et cela, et cela… », alors les gens pourront dire : « Je suis pauvre ». Il y a un film merveilleux de Gisèle Casabianca qui s’appelle « Aiutu ! » où elle interroge des femmes seules dans la campagne, des femmes isolées chez elles. Une dit : « Je mange, et puis c’est tout ». Cette pauvreté sociale, cette pauvreté de la visite, existe. Les gens sont emmitouflés dans leur couverture. Ils ont honte. On ne voit que la partie visible de l’iceberg. Des gens ne demandent pas l’aide sociale. Le renoncement à l’aide sociale, au RSA… représente des milliards d’euros en France. Ça arrange tout le monde parce que ça fait faire des économies. Il y a, aussi, le renoncement au vote. Dans le nombre d’abstentions, combien ne se sentent pas concernés par ce que les politiques racontent, parce qu’on ne parle pas d’eux. Il y a, également, des renoncements au soin… et des gens qui n’ont plus envie de vivre. Ces gens-là, on ne les voit plus, ils sont hors des radars. On ne les décompte pas. On est dans une logique purement statistique !
- Les études disent que la pauvreté touche particulièrement les personnes âgées en Corse. Sont-elles le plus impactées ?
- La pauvreté touche tout le monde ! Avant, elle ne concernait que les gens sans emploi et les gens un peu fragiles psychologiquement. Aujourd’hui, elle touche des familles entières. Le problème est aigu pour les familles monoparentales, mais aussi pour les jeunes. Certains naissent, grandissent et vivent dans la pauvreté. Des gens âgés se retrouvent avec des retraites de 400 € ou 600 €. Personne ne parle des immigrés qui ont travaillé toute leur vie et, quand ils prennent leur retraite, on leur dit : « Monsieur, vous n’avez jamais été déclaré ! ». Ils ne le savaient pas ! Et se retrouvent en caleçon et veste, avec zéro euro. Il faut savoir tout ça !

- On a longtemps dit que le lien social et familial, très fort dans l’île, préservait les précaires. Ce lien est-il toujours vivace ou est-ce devenu un mythe ?
- C’est vrai qu’en Corse existe un fort relationnel, un fort lien familial et social, mais il commence à se déliter. Comme ailleurs, il y a un éclatement des familles par les divorces successifs et la mobilité géographique. Pour trouver du travail, il faut se déplacer. Et puis, soutenir un membre de sa famille sur un petit problème ponctuel, tout le monde sait le faire. Quand c’est toute une vie de chômage chronique, de maladie psychiatrique, de mal-être…, il n’y a pas beaucoup de familles qui peuvent tenir la distance parce qu’il faut être soi-même bien dans sa peau et riche pour le faire. La vie en société, aussi, se délite. Les modes de vie ont changé, les gens vivent plus repliés sur eux-mêmes. Du fait de l’appauvrissement général, on s’occupe, d’abord, de soi et de ses plus proches. Les plus lointains, on s’en occupe un peu moins. Il n’empêche que le lien familial et le lien social persistent en Corse plus longtemps qu’ailleurs et peuvent être, au moins pour le lien social, ravivés.

- Comment ?
- Justement, par ce fort relationnel. Ce n’est pas de l’émotion superficielle, mais du vrai relationnel que l’on vit au niveau associatif. Des gens aident dans l’humilité, la discrétion et la durée. Je prends toujours comme exemple quand Médecins du monde demandait, en 1989, d’aider la Roumanie, chaque région l’a fait et a envoyé des missions. La Corse a lancé 19 missions. La première mission a été gratuite partout en France, que ce soient le camion, l’essence, le chauffeur… Dès la deuxième mission, tout était payant. En Corse, les 19 missions ont été gratuites : on a toujours eu le camion gratuit, l’essence gratuite, le chauffeur gratuit et on remplissait les camions gratuitement. Tout cela avec des gens qui n’ont jamais voulu qu’on leur dise : « Merci ! ». Il y a encore en Corse cette vraie générosité qui dure.

- La précarité y est-elle différente ?
- Je ne sais pas si la situation corse est différente d'ailleurs en France ou dans le monde, mais peu importe ! Notre rôle est de nous en occuper ici et maintenant, pas de comparer notre situation à celles des autres si ce n'est pour en tirer des leçons. Evitons le piège de donner des degrés à la pauvreté, dire qu'ailleurs on est peut-être plus pauvre qu'ici ! La seule chose qui compte c'est qu'ici, il y a des pauvres et qu'il faut s'en occuper. Je suis issu du milieu associatif, c'est-à-dire des tâcherons du quotidien qui œuvrent à la résolution d'un symptôme. Pour moi, le symptôme, c'était la santé. D'autres s'occupent de l'accès au logement, de l'isolement, la solitude, l'alimentation... Tous ces gens-là ne s'occupent que d'une seule et même maladie : la précarité. Lorsqu'on se rend compte, qu'on ouvre les yeux et qu'on regarde un peu plus loin, d'observateur, on devient témoin et on cherche à mieux comprendre. En fait, depuis 2006, depuis le passage de Mr Emmanuelli qui a prononcé une phrase qui a fait son chemin : « La précarité est structurelle ». On s’est aperçu que la pauvreté est tout simplement un problème politique majeur.

- Pourquoi majeur ?
- D’abord, parce qu'elle en a toutes les caractéristiques par le nombre de personnes concernées, par son accroissement, par le fait qu’elle touche des jeunes qui sont nés dans la pauvreté et n'ont connu que cela. Ensuite, parce qu’elle coûte très cher : l'espérance de vie des pauvres est, comme on s'en apercevra plus tard, abrégée par rapport à celle de gens qui vivent plus normalement. Enfin et surtout parce que la pauvreté donne lieu à une économie parallèle, une économie de la misère qui est particulièrement visible en Corse. Cela peut aller jusqu'à la mafiosisation de toute une société. On l'a vu chez certains de nos voisins où sur la pauvreté s'est greffée une mafia qui trouve là une main d'œuvre pas cher à qui elle donne du travail et qu'elle peut gouverner. C'est réellement un grand problème politique.

- Vous dites que la pauvreté en Corse est structurelle. Quelles sont ses causes ?
- C'est la bonne question ! Tout le problème est là ! Je me suis longtemps battu pour les dépister. Connaître les causes est le travail principal qu'il reste à faire pour qu'à partir de ces causes, on trouve les bonnes solutions, sinon on ne fera que ce qu'on fait déjà. J'ai la chance d'être élu au Conseil économique et social qui va s'autosaisir de ce problème et donner un rapport sur les causes de la précarité en Corse. Ce rapport ira très loin. Il y a les causes superficielles : manque de logement, d'emploi, de formation... Et d’autres plus profondes dès qu'on pose cette question terrible : pourquoi ? Pourquoi n'y a-t-il pas de logement pour les pauvres ? Pourquoi la formation ne marche-t-elle pas pour les pauvres ? Pourquoi y-a-t-il du décrochage scolaire ? Là, ça va beaucoup plus loin, ça touche à nos organisations.

- C'est-à-dire ?
- Cela touche à trois problèmes : à nos manques de méthode, à nos manques d'imagination et à nos manques de coordination. Là, on est pleinement dans la politique : renouveler nos méthodes de travail et trouver des sources de solution complétement innovantes. La pauvreté ne cesse de croître, les remèdes actuels ne marchent plus. Il faut, donc, trouver de nouvelles solutions et coordonner toutes les forces. Chaque fois qu'on se réunit, on se rend compte que des tas de gens existent sur le terrain, mais ils ignorent que l'autre existe et peut offrir tel service et répondre à l'attente de quelqu'un qui est en face de nous. Si nous travaillons à chercher les causes qui sont d'abord profondément humaines, nous aurons fait un grand pas par rapport à d'autres régions qui n'en sont pas encore là.

- Que faut-il faire pour éradiquer cette pauvreté ? Les solutions avancées ont-elles été appliquées ?
- En Corse, il y a une spécificité : la pauvreté a été déclarée « problème politique » puisque le PADDUC contient la charte de lutte contre la précarité. Un texte que certains ne connaissent pas et que d'autres ont oublié. Ce texte inscrit la pauvreté comme problème politique majeur et autorise à s'en occuper à cette hauteur-là. Plus seulement à l'échelon associatif et social, mais vraiment à l'échelon curatif, préventif et prospectif. Le premier plan de lutte contre la précarité de la Collectivité unique propose beaucoup de bonnes solutions qu’il faut maintenant mettre en place. Mais ces solutions doivent sortir du cadre. Il y a divers champs de solutions : le champ politique qui commence à s’investir, qui ne peut pas tout faire, mais orchestre et organise. Le champ de la réforme du travail social parce qu’on marche encore avec un empilement de mesures et qu’on voudrait remplacer une assistante sociale, qui a l’expertise du terrain, par un ordinateur. Il faut mettre le paquet sur les gens en sortie de crise et activer toutes les forces vives de la nation, du secteur privé, de l’emploi, de l’éducation… et les pauvres eux-mêmes pour qu’on imagine des mesures préventives.

- Lesquelles, par exemple ?
- On sait qu’en matière de logement social, on n’arrivera pas à construire autant que nécessaire. Il n’y aura jamais assez de logements neufs dans toute la France. Il s’en construit 100 000 par an, il en faudrait 500 000 de plus ! On n’y arrivera pas ! La bonne question à se poser est : comment produire du logement sans en construire ? Nous avons travaillé cette question dans le plan Précarité. Dans les villages, on peut activer toutes les aides nécessaires pour rénover le bâti ancien, travailler sur l’indivision, sur les logements administratifs vides, sur la colocation ou sur ces nouveaux modes de vie ensemble où l’on mélange les générations… Avec les architectes, on peut travailler sur des tas de choses. Se poser les bonnes questions en cassant le cadre, c’est comme cela qu’on va y arriver. Il faut dépasser le déficit d’imagination, cela demande de connaître les bonnes causes et de travailler dessus.

- Avez-vous l’espoir d’y arriver ?
- Oui ! Je suis plein d’espoir, mais si un pauvre m’entend, il me dira : « Mais qu’est-ce que vous faites ce soir pour moi ? ». Je n’aurais pas de bonnes réponses !

Propos recueillis par Nicole MARI.
 



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